Des actualités personnelles sous un style impersonnel, et inversement.
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[Article 4/4 sur mes 3 mois à Tahiti ; les 3 autres : Départ pour Tahiti, Archipels et atolls de Polynésie, Que faire à Tahiti et en Polynésie ?]
Après ces premiers articles orientés "tourisme à Tahiti", j'aimerais quitter la sphère superficielle et partager ce qui pour moi fait la beauté de la Polynésie. Le bleu des lagons est envoûtant, bien sûr, mais il est d'un charme éphémère. C'est comme sortir avec une jolie fille. Si l'on n'a pas grand chose à se dire, on va se lasser.
Ce qui m'a plu à Tahiti, c'est d'y vivre, d'y faire des rencontres, et de découvrir une culture, une philosophie. De baigner dans la bonne humeur et la sérénité ambiantes loin de la cupidité que l'on rencontre dans les lieux touristiques. Et je ne le cache pas, profiter du fait que les touristes ont déserté l'île pour louer un chouette appartement avec terrasse, jacuzzi et vue sur le lagon !
Vue de ma terrasse
Ma première rencontre se fait à la maison d'hôte dès mon arrivée. L'échange usuel "tu fais quoi dans la vie ?", parfois banal, prend un tour intéressant. "Plongeur". Je suis habitué à entendre "ingénieur", "marketing" ou "chef de projet" mais là je tombe des nues. On peut vivre de la plongée ? En dénichant des coffres au trésor ? Presque. Ils naviguent à bord d'un grand voilier toute l'année (en réparation ce jour là) et effectuent régulièrement des expéditions pour les universités : filmer le corail, certains types de requins etc, et cela donne lieux à des publications scientifiques ou à des reportages télévisés (type Arte).
Airbnb à Rangiroa avec des Woofers et des kinés qui s'expatrient
J'ai fait beaucoup d'autres rencontres. Des expatriés de longue date, d'autres tout juste arrivés prêt à tenter leur chance, des touristes qui se prennent une année sabbatique... Tous ont une histoire. Mention spéciale pour des français qui faisaient du "Woofing" (World Wide Opportunities on Organic Farms, WWOOF). Le principe est simple, ils travaillent gratuitement pour quelqu'un 5 ou 6 jours par semaine, en échange de quoi ils sont nourris logés, ce qui leur permet de voyager à moindre frais et surtout d'une autre manière.
Bien sûr financièrement parlant ils sont complètement exploités mais quand ça ne dure pas longtemps et qu'on est jeune ça reste une bonne expérience, et ça leur permet de tenir toute une année sans travail sans taper dans leurs économies.
Famille d'accueil (Airbnb) le temps d'un weekend à Moorea
Il faut toutefois se méfier, aux dires de mes amis, certains hôtes avaient besoin d'un coup de main mais hébergeaient avant tout pour l'échange humain, tandis que d'autres n'avaient aucunes scrupules.
Pour revenir à nos amis Woofers, ils ont même poussé le concept du voyage gratuit jusqu'au bout. Plutôt que de prendre le ferry ou un avion pour se déplacer d'île en île, ils recherchaient sur internet des petits voiliers qui faisaient le trajet et qui prenaient des gens à bord (des gens qui possèdent un bateau, pas de gros bateaux de croisière). Là encore, prudence ! Mieux vaut ne pas être une fille seule à bord pendant quelques jours avec un vieux pervers. Il y en a qui ont pourtant tenté l'expérience. Qu'est ce qu'on ne ferait pas pour économiser 15 € de ferry ! Mais ce ne serait plus une aventure.
Niveau paysage j'ai été très surpris. J'imaginais que les plages bordaient l'île et qu'en sortant du boulot les gens allaient se baigner et faisaient du ukulele. Pas du tout ! Les gens habitent souvent en dehors de Papeete, et prennent la voiture tous les matins pour aller travailler. Et tous les matins il y a des bouchons. Comme en région parisienne ! Comme quoi...
En parlant de Papeete, si le nom évoque le farniente, dans les faits l'endroit ne donne pas très envie (même si je ne m'y suis jamais senti en danger). Il y a bien quelques bars et endroits sympas mais le centre ville est assez "crade". Heureusement il est petit et ça s'améliore dès que l'on s'en éloigne.
Un taudis comme on peut malheureusement en voir tant d'autres, à Mahina ou ailleurs, aux abords des plages
Ce qui m'a probablement le plus choqué en arrivant ici est de voir à quel point l'île semble pauvre. J'ai l'impression d'être dans un pays du tiers monde. Des gens vivent dans ce qui s'apparente à des bidonvilles au milieu de chiens errants. Les poules caquètent dans la rue (même à Papeete !). Elles se retrouvent aussi dans des endroits plus inattendus comme loin dans les collines, lors de randonnées.
Tahiti fonctionne en fait à plusieurs vitesses. Il y a les gens aisés, qui vivent dans de beaux lotissements avec vue sur la mer, partent chaque hiver en Nouvelle Zélande pour skier, prennent des cocktails dans les marinas. Il y a les gens plus "normaux". Et il y a ceux qui n'ont pas pris le train en marche.
J'ai d'ailleurs rencontré l'un deux en cherchant à faire du va'a (la pirogue). 3 enfants, une maisonnette en tôle en bord de plage, pas de voiture. Il n'a pas de travail fixe, il vit de petits boulots ci et là. Il me montre où il pêche tous les jours avec quelques copains. Pourquoi travailler quand l'île vous donne tout, depuis des générations ? Mangues, ananas, fruits de la passion, taro, patate douce, poisson... Mais l'île se modernise. Les gens ont un travail, une voiture. De nouvelles résidences sont construites un peu partout, creusant chaque jour plus le fossé entre les uns et les autres. Il faut maintenant un téléphone, et payer un forfait pour ceci et pour cela. Rien n'a changé dans son mode de vie mais la vie autour a changé.
C'est la fin d'une culture. Combien de temps encore pourra-t'il tenir ?
Petite parenthèse, le va'a est une véritable institution. Ce n'est pas un loisir pour la plupart des pratiquants mais une passion. Après leur journée, beaucoup d'hommes vont ramer une heure ou deux. Un moyen de profiter de la nature tout en faisant de l'exercice. C'est aussi depuis l'eau qu'on a la meilleure vue, et que l'île apparairait, sous sa forme originelle, lavée de toutes traces de civilisation, baignée dans la lumière couchante qui se reflète sur l'océan. Excellent pour s'apaiser. Les entreprises ont toutes leur équipe, s'entraînent entre midi et deux, et il y a des compétitions toute l'année. C'est un peu comme le jogging ou le cyclisme !
Une "roulotte" typique. Celle-ci "chez le Bro", tenue par Heimanu, faisant des crêpes excellentes
Enfin, j'ai adoré les "roulottes" (camionnettes restaurant). La plupart des restaurants sont sous cette forme, et si j'ai d'abord été un peu surpris et rebuté par leur aspect (menu steak frites assis sur une chaise en plastique rouge sur le bord de la route), j'y ai vite pris goût. La nourriture y est excellente ; il fait chaud donc manger dehors est ce qu'il y a de mieux, et je ne suis jamais tombé malade bien que j'y mangeais poisson (cru) ou steak saignants plusieurs fois par semaine.
Nous disions que la France avait essayé d'imposer sa langue assez tôt. Heureusement que le tahitien a subsité ! Il y a des chaînes de radio ou de télé uniquement en Tahitien. Certains habitants le parlent d'ailleurs mieux que le français. Des jeunes de mon âge ont été élevés avec le tahitien comme langue à la maison mais malheureusement le plus souvent ils le comprennent plus qu'ils ne le parlent. Mais il subsiste, et s'incruste même dans le français pour le plus grand plaisir de tous !
Voici une liste de mots que vous entendrez souvent au hasard des conversations (les 'r' se roulent et les 'u' se prononcent 'ou') :
- iaorana : bonjour
- nana : au revoir
- manava : bienvenue
- maururu : merci
- manuia : tchin-tchin
- fenua : la Terre nourricière, l'environnement, l'île et sa nature qui permet aux hommes d'y vivre
- popa : expatrié / blanc
- nui : l'air. D'ailleurs la compagnie aérienne s'appelle Air Tahiti Nui.
- fare : pension / petit hôtel
- paka : marijuana
- tabu : interdit (qui a d'ailleurs donné son sens à tabou)
- rere : travesti
L'équivalent du "Made in France" pour promouvoir les produits locaux
Tout n'est pas rose sur l'île. Comme partout, la corruption fait rage. Les maires sont de connivence avec les promoteurs immobiliers pour vendres des pans de montagne, qu'on va raser pour faire de nouveaux logements. La drogue sévit aussi sur l'île, dans une moindre mesure. Tout pousse si bien qu'il n'est pas difficile de devenir un petit producteur d'herbe. C'est de l'argent facile, et cela encourage les petits trafics et les bandes, même si ça d'après ce que j'ai compris ça reste très léger par rapport à ce qu'on trouve ailleurs.
Comme je le disais, la première chose qui m'a frappé c'est que les gens qui habitent à Tahiti ne s'y sentent pas du tout comme nous en vacances. Et pour cause, ils y habitent ! Ils ont besoin de voyager de temps en temps, de se faire une petit week-end sur une autre île (surtout les habitants des plus petites îles), sinon ils deviennent fous. Mais pire que ça, un peu comme les habitants des villes qui parlent de s'installer un jour à la campagne, ceux de Tahiti parlent d'habiter dans une plus petite île pour "fuir la pollution" ou "être au calme". Je ne sais pas s'ils se rendent compte de la qualité de vie qu'ils ont déjà !
D'ailleurs je me demande bien pourquoi je vis là où je suis après avoir vu Tahiti. Malgré les apparences parfois "Tiers monde" de l'île, beaucoup de gens vivent bien, même très bien, et si vous avez des qualifications c'est un gros plus étant donné que beaucoup de Tahitiens n'ont pas fait énormément d'études (sans être méchant, de ce que j'ai compris) et donc a priori je pourrais y trouver du travail facilement.
C'est une chose de rêver, c'en est une autre de passer à l'acte. Il faut dire aussi qu'après 3 mois sur l'île, j'étais content de rentrer sur un continent et de revoir ma famille.
Quelques amis faits à Tahiti
Quelques autres bizarreries :
- l'immobilier se vend souvent meublé
- la plupart des prostitué(e)s sont... des hommes (des "rere") ! L'offre s'adapte sûrement à la demande ! :)
- les crêpes font fureur ! Elles se vendent partout.
- Il n'y a pas de "loi littoral". Le bord de mer est très souvent privé. Il y a ceux qui ont une maison avec ponton et les autres...
Enfin, il n'y a que 300.000 habitants en tout en Polynésie. C'est quand même peu et donc avec le temps je ne vais pas dire que tout le monde se connait, mais presque. Et comme les gens se déplacent finalement beaucoup d'île en île, pour leur boulot, voir leur famille etc, ils se déplacent avec beaucoup de nouvelles à annoncer. Et surtout des ragots.
En Polynésie, ils appellent ça "Radio Coco". "Le fils de Tevaria, tu sais, celui qui tient le Super U de Moorea, et bien ..." : ce genre de message se propage beaucoup plus rapidement avec Radio Coco qu'avec internet. Il faut bien s'occuper !
Ça a son côté sympathique, surtout de par son nom, mais aussi dérangeant. Sur certaines îles, j'ai entendu (par Radio Coco :D) que 2 clans étaient formés depuis des générations, comme en Corse, et qu'il y avait même une très mauvaise ambiance.
Note : il faut vraiment aller sur de petites îles non touristiques pour les trouver, donc pas de chance pour que vous tombiez dessus par hasard. Ceci dit, pas facile de vivre en vase clos, même au paradis !
Maururu pour avoir lu tous ces articles sur Tahiti ! J'ai passé un séjour inoubliable, je vous souhaite de même, et surtout voyagez de manière responsable : j'espère que le tourisme ne changera pas la culture, ni ne produira d'excès.
Nana !
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