Des actualités personnelles sous un style impersonnel, et inversement.
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À défaut de pouvoir écrire l'Histoire, je tiens à laisser une trace, comme une sorte de témoignage. Et plutôt que de commenter une actualité particulière, je vais cette fois partager quelques anecdotes personnelles récentes qui m'ont beaucoup marqué, tout aussi édifiantes.
Incidemment, toutes se sont déroulées dans un taxi, dans la région de San Francisco, sur trois thèmes différents : la politique, les voitures autonomes et les tarifs Uber. Voyez plutôt.
Le premier, américain d'origine mexicaine, commence à me dire qu'on a maintenant un président génial, qui agit. Je ne peux pas nier le dernier point - c'est peut être même la seule chose que "j'admire" - mais je rétorque qu'il y a des arrestations dans tous les sens au mépris de la loi, qu'on est proche de la dictature.
"Et alors, si on arrête des criminels, pourquoi ne pas être expéditif ?"
Là encore je ne suis pas convaincu du contraire, mais avant que je ne le contredise, il me dit que c'est en fait en Europe qu'il y a des arrestations sans fondement. En Allemagne, en Espagne, en France.
Il ne me croit pas quand je dis que c'est absolument faux (c'est même l'inverse de mon avis) alors je cherche d'autres exemples aux USA. Je mentionne l'attaque sur Harvard parce qu'ils ne veulent pas mettre le genou à terre devant le roi. "Mais ils sont quand même d'extrême gauche là bas, non ? Pourquoi l'argent des impôts devrait subventionner des universités qui critiquent le système ? Et d'ailleurs, à quoi servent bien les universités ? Mon cousin a fait des études supérieures et il n'est pas plus intelligent que moi qui me suis arrêté au lycée."
J'arrivais à destination quand il me montrait qu'il vérifiait les sources de tout ce qu'il lisait sur Twitter grâce à Groq, le système d'intelligence artificielle de Musk.
Le second, un blanc, a entamé sur un autre sujet. "Vers là où tu habites, il n'y a que des indiens". Effectivement, nous sommes dans la Silicon Valley et les chinois et les indiens sont majoritaires. Il continue. "En Europe, il y a des musulmans partout. C'est une invasion. Et ils font beaucoup plus d'enfants que les blancs. Dans quelques décennies vous serez submergés. On ne peut pas avoir ça ici, avec les mexicains, et notre président l'a bien compris."
Il poursuit. "Il faut purifier le pays". Texto.Il faut purifier le pays.
Tout est dit.
Réflexion faite, je ne crois pas que ceci soit nouveau. Les braises existaient bien avant que Trump ne souffle dessus. Ce qui me semble nouveau c'est qu'on n'ose plus s'en cacher. On n'as pas honte d'être extrême car notre modèle est vulgaire. Alors Qu'on ne cherche pas un consensus, on cherche à écraser. Écraser avant de se faire écraser. Car si on n'éradique pas les démocrates et leurs idées, ils vont entraîner le pays dans le marasme. Il n'y a qu'à voir l'état de San Francisco, ville avant-gardiste par excellence, des vols en magasin en toute légalité, des bidonvilles, et des problèmes de drogue. Sans parler du fait que l'école publique californienne explique aux enfants dès 10-11 ans qu'il leur appartient le choix de changer de sexe. Tout mais pas ça, alors on ferme les yeux sur le reste.
J'écoutais récemment un podcast très intéressant sur l'histoire des sciences. Des chercheurs ont essayé de comprendre pourquoi même des gens extrêmement brillants (chercheurs scientifiques à Harvard ou autre) n'y croient parfois pas. On a longtemps pensé qu'ils y croyaient aussi mais qu'il y avait des raisons économiques (lobbys ou autre) qui les encourageaient à dire le contraire. Il se trouve que non, les conclusions scientifiques sont essentiellement (dans des cas politisés comme ça) le fait d'une idéologie.
En d'autres termes, on ne convaincra jamais personne qui croit en quelque chose d'aussi insensé soit-il.
Corollaire : Donald Trump a de longues années devant lui. Et le premier chauffeur, l'américano-mexicain vote pour quelqu'un qui promet au second chauffeur d'avoir moins de gens comme lui. Et ce vieux chauffeur blanc à qui les immigrés piquent le travail croit voter pour quelqu'un qui va lui en redonner, en oubliant qu'il le pille d'une autre main avec son Trump Coin ou la manipulation des cours de bourse.
Et le pire dans tout ça est que pour la première fois de ma vie, j'ai l'impression de prendre un risque en écrivant ces lignes. Pas le même risque que les résistants qui imprimaient des journaux en cachette, mais quand même. Il parait que des gens ont du déverrouiller leur téléphone en entrant sur le sol américain, alors gare si l'on critique Trump.
J'imagine d'ici me faire menotter sous les yeux de mon premier chauffeur de taxi : "Oui, on vous a envoyé à Guantanamo deux mois le temps de vérifier que tout est en ordre. Mais vous êtes bien d'accord qu'en disant du mal du président dans votre blog vous créez un risque de guerre civil et posez un risque de sécurité national ?"
Dans un tout autre ordre d'idée, en me cueillant à l'aéroport, un chauffeur me dit qu'il est étonné de voir autant de monde attendre une voiture. Je le questionne un peu et il me dit que les Uber doivent attendre sur une sorte de parking géant à 5 minutes de l'aéroport, et qu'ils en sortent quand ils ont une course. Il a attendu une heure avant qu'on fasse appel à lui. Une heure pendant laquelle il n'est pas payé.
Il me demande ensuite combien coûte ma course. Il me demande car lui ne voit que ce qu'il reçoit, après la commission que se prend Uber, soit 10$ dans ce cas. J'ai payé 30$. Uber a donc pris les deux tiers. Deux tiers de commission. Ils n'ont pas à payer pour la voiture, l'essence, la vidange, son temps.
Ahmed est jordanien. Sa femme et ses enfants vivent en Jordanie. Lui travaille dur dix mois par an aux USA sans les voir puis rendre l'été pour les retrouver. Il n'y a encore pas longtemps, cela fonctionnait bien pour lui. Uber payait décemment. Ils ne prenaient que 10 à 20% de commission. Puis elle est montée. 30%, puis 40%. Il économisait moins mais ça passait encore. Maintenant ce n'est plus tenable.
Et en Jordanie, il n'y a pas de travail ? _ Non, très peu. Il y a une classe très aisée qui vit bien, le reste de la population vit très mal.
Je n'ai pas l'habitude de laisser de pourboire, et quand je le fais c'est plutôt symbolique, quand j'ai vraiment apprécié le conducteur. Pour une fois, je me suis montré très généreux.
Enfin, j'ai essayé Waymo, le taxi sans chauffeur. Non pas pour qu'Ahmed souffre encore plus, ni pour éviter de me prendre une décharge de chevrotine si je ne suis pas d'accord avec le fait d'annexer le Groenland. Pour essayer. Je suis dans la Silicon Valley, le berceau de la tech, et je vois passer le futur un peu avant le reste de la planète donc autant essayer.
Dans le principe ça revient à prendre un Uber : on commande sur une app, la voiture (une Jaguar !) arrive, on monte, et ça nous dépose où l'on veut. En pratique, la voiture ne m'a pas vu et s'est garée un peu loin (et ça ne sert à rien de faire des grands signes de main !). Je suis monté devant au lieu de derrière, un peu comme la première fois où, petit, j'ai pris un train sans chauffeur et voulais me coller à la vitre avant.
Alors oui, le volant tourne tout seul, mais la surprise est vite passée. On s'habitue vite ! Vivement que toutes les voitures soient toutes comme ça et qu'il y ait moins d'accident.
Ça coûtait un peu plus cher, mais bon, pour une fois, je peux me le permettre. Tant que l'intelligence artificielle ne me remplace pas moi aussi.
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